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Monsieur,
le 3 Aout 769.

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Vous etes un juge trop equitable pour condamner un homme, que

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Vous avez daigné de Votre confiance, sans connoissance de cause et

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sans l’avoir entendu. J’abregerai de mon mieux mon double Roman,

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qui fait le noeud de mon destin. Il y a 10 ans qu’une fille, superieure

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en tout sens à mes pretensions et à mon attente, me fut offerte en

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mariage. Je me tirai alors sur le champ l’horoscope à moi-meme, que

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je serais
forcé de servir pour elle 14
condamné a servir pour elle,

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comme le bon Patriarque une quinzaine d’années. Notre eloignement

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et notre situation reciproque nous ont interdit entierement depuis ce

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tems là de songer l’un à l’autre; et ce ne sera qu’une nouvelle revolution

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des circonstances qui seroit en etat d’achever la trame de la Providence.

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Malgré tous les revers ce sera la seule personne de tout l’univers faite

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pour etre ma femme et
Mon cœur me l’a dit
c’est mille fois que mon

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coeur a prononcé
avec toute la tranquillité dans le calme
de l’amitié

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la plus pure: celle-ci est os de mes os et chair de ma chair. Ainsi point

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d’alternative entre elle et personne.

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Ce fut en 1762, qu’une paysanne sans aucunes autres charmes que

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celle d’une santé parfaite et d’une vertu rustique fit une nouvelle episode

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encore plus merveilleuse – Oui cette fille me sera toujours precieuse

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pour les agonies d’une passion novice et jalouse qu’elle m’a fait subir

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et pour les services qu’elle a rendu à mon pere et à moi-meme jusqu’

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aujourdhui. C’est depuis la Pentecote de l’année susdite que j’ai trainé

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une vie aussi languissante et epuisée d’un coté qu’agitée et
ebranlée

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dechirée
fermentée de l’autre part. Jeux, remedes, distraction
de

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voyages et
de toute sorte, voyages assez longs et variés, servitudes

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litteraires et civiles
assez longs et variés
assez rudes et severes, enfin

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je n’ai rien epargné. Après avoir rendu feu mon pere, feu notre Medecin

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Laubmeyer et notre Confesseur commun depositaires de mon secret la

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conservation de ma vie et de
ma santé pour ma
femme eventuelle

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m’ont dicté des convenances, aux quelles je serai toujours fidele par la

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grace de celui que je ne cesserai jamais d’adorer comme le
auteur

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Souverain de la Nature et de la Societé et le Mediateur et Restaurateur

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de nos abus et contraventions naturelles et sociales.

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Vous voyez, Monsieur, que j’ai vecu avec ma menagère presente Anne

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Reine Schumacherin depuis 1762 dans une liaison, que j’ai toujours

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consideré dans le
sens le plus propre
et le plus litteral
comme

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comme un
Mariage de conscience
;
Je sentirois toute la joie
mais

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vous
penserez
ne douterez pas non plus, que la joïe de se sentir pere

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d’un homme
et auteur d’une creature homogene est modifiée
par

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dans mon cas par plusieurs amertumes. Malgré mon habitude de haïr

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et de
mepriser
rebuter ce Public
profane
je suis penetré trop

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vivement
le respect
de la veneration religieuse que je dois à Votre maison

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et à l’honneur d’Icelle et c’est une reflexion plus mortifiante que toutes

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les autres difficultés que j’aurai encore à dompter cette ferocité d’une

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hamadryade. Notre betise sur les causes du mal et l’improbabilité morale

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et physique de soupçonner un tel evenement depose en quelque maniere

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pour notre innocence commune. Permettez-moi de m’appuyer encore

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sur ce Cantique de Salomon, où il dit: certes c’est Dieu qui donne du

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repos à celui qui l’aime. Voici, les enfans sont un heritage donné par

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l’Eternel et le fruit du ventre est une recompense de Dieu. J’ai dejà pris

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tous les arrangemens necessaires avec mon Medicin ord
re
avec une sage

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femme et avec la mere et la soeur, à laquelle
aura soin
je confierai le

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soin de mon sang. Je vous supplie Monsieur ne rougissez point d’un cas

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humain, n’accablez point un homme assez aneanti, ne refusez point

5
vos avis et instruction à un malheureux qui a assez lutté avec son sort

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et qui se flatte d’etre le plus fort avec cet ange de Dieu. Je Vous souhaite

7
ses meilleures benedictions et suis avec le respect le plus profond

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Monsieur

Provenienz

Druck ZH nach den unpublizierten Druckbogen von 1940. Original verschollen. Letzter bekannter Aufbewahrungsort: Staats- und Universitätsbibliothek Königsberg, Msc. 2552 [Roths Hamanniana], II 45.

Bisherige Drucke

ZH II 461–463, Nr. 364.